L'acheminement du courrier par voie des airs fut une des grandes conquêtes de l'aviation civile. La Guerre de 14-18 terminée, une nouvelle génération de pilotes vit le jour. Elle avait pour idéal la conquête des terres lointaines, franchissant mers, montagnes ou désert, oubliant les risques qui n'étaient pas des moindres. Pierre Georges Latécoère fut à l'origine de cet élan qui permit de relier les hommes en quelques heures. Avec Didier Daurat qui anima l'Aéropostale il développèrent ensemble quelques lignes aériennes à travers l'Afrique et l'Amérique. "Le courrier doit passer", c'est par ces mots que Didier Daurat galvanisait ses hommes qui avaient pour noms Mermoz, Saint-Exupéry, Guillaumet...
Pendant la guerre de 14-18, Pierres-Georges Latécoère, jeune chef d'entreprise d'une scierie familiale, participe activement à l'effort de guerre. Il fournit des caisses de munitions, des baraquements, des cuisines de campagne et même des obus de gros calibre. Le hasard va le conduire à la fabrication d'appareils d'observation dont les militaires ont un impératif besoin pour conserver leur avantage dans les combats de cette fin 1917. Ce n'est pas moins de 1000 avions de reconnaissance biplaces qu'il doit produire avec pour échéance le 15 mai 1918. Pari tenu, voilà notre patron qui, malgré une absence totale de formation aéronautique, va engager les meilleurs ingénieurs de son temps (Dewoitine, Marcel Moine) pour les faire plancher sur ce projet. Il ouvre un nouvel atelier à Montaudran près de Toulouse et commence rapidement la production qui passe à six unités par jour. Pourtant, la fin de la guerre approche et Latécoère pense déjà à une reconversion de son potentiel industriel.
Après la paix, les grands as de l'aviation militaire vont trouver une nouvelle source d'aventure avec le développement de l'aviation civile et particulièrement du transport de courrier et de passagers, Latécoère se dirige à son tour dans cette voie et décide de lancer ses pilotes vers l'Espagne, mais aussi le Maroc et le Sénégal, autrefois terres françaises.
Il va même jusqu'à envisager d'aborder le continent américain par le sud mais c'est une vue de l'esprit pour l'époque alors qu'aucun appareil n'a encore réussi à franchir l'Atlantique. Latécoère n'hésite pas à mettre la main à la pâte et le voilà équipé d'une combinaison, passager à bord d'un Salmson en direction de l'Espagne. Plus tard, destination le Maroc où on le verra signant un contrat d'exploitation pour 8 vols mensuels (Toulouse-Rabat) avec le Maréchal Lyautey (Résident Général de l'époque). Autre point fort du personnage, il sait s'entourer des meilleurs.
Sa rencontre avec Didier Daurat va donner un nouvel à son entreprise. Ce grand stratège va exercer à merveille le rôle que lui confie Latécoère: diriger, persuader et dominer car il ne faut pas oublier que les pilotes, la plupart issus de la guerre, sont restés des têtes brûlées qu'il faut "mater" pour obtenir le meilleur d'eux-mêmes. Daurat s'y connaît pour rabaisser le caquet des orgueilleux. Il commence même par placer les nouveaux venus de longs mois durant à l'atelier, démontant et remontant les moteurs, avant de leur confier un "manche à balai". Cette expérience s'avérera bien utile plus tard lorsque les appareils tomberont en panne au milieu d'un désert. Le développement des lignes obligeant à trouver du personnel, on verra se côtoyer les ennemis de jadis, pilotes allemands et français, côte à côte pour la même cause: faire passer le courrier.
Le temps passe et bientôt Latécoère à force d'investissements, pour développer ses lignes et faire fabriquer de nouveaux appareils plus fiables, va se retrouver acculé à la faillite. En 1926 il part pour Rio où il espère trouver des encouragements et les fonds nécessaires pour continuer son oeuvre. Finalement, le 11 avril 1927 Marcel Bouilloux-Lafont devient propriétaire exclusif du réseau Latécoère baptisé pour l'occasion Aéropostale. Changement de stratégie, le nouveau patron signe des contrats avec les gouvernements sud-américains et bientôt va s'ouvrir la première liaison postale entre la France et l'Argentine. Fin 1930 le réseau s'étend maintenant sur plus de 17.500 kilomètres et pourtant la ligne connaît des problèmes financiers énormes tandisque par delà les mers, les déserts et les forêts et même la Cordillère des Andes, les pilotes risquent leur vie pour livrer les sacs de courrier tant attendus.
Février 1932, un scandale qui va éclabousser la famille Bouilloux-Lafont éclate. On les accuse de tous les maux sur la base de faux documents destinés à favoriser la concurrence allemande en Amérique du Sud. Les effets sont immédiats et après une campagne de presse hideuse et un procès bidon, l'Aéropostale va disparaître dans la tourmente.
Jean Mermoz naît à Aubenton, dans l'Aisne, en 1901.
Il veut d'abord devenir sculpteur, puis se prend de passion pour le journalisme.
Installé avec sa mère dans le Montparnasse des artistes, il
sert de modèle à plusieurs peintres. Il rate la deuxième
partie de son baccalauréat, puis rencontre un ami de sa mère,
comédien, qui lui conseille de s'engager dans l'aviation. En un an,
il obtient son brevet de pilote et découvre sa vocation lors d'une
mission en Syrie, à Palmyre. Au cours de cette mission, il accomplira
600 heures de vol en 18 mois ! C'est là qu'il connaît sa première
panne dans une région désertique et dangereuse et qu'il goûte
à l'aventure. Une passion qui ne le quittera jamais.
En 1924, de retour à Paris, il est engagé par Latécoère.
Mission : rallier Toulouse à l'Afrique. Véritables pionniers,
Mermoz et ses camarades connaissent des conditions de vie et de travail
incroyablement difficiles. Comme Saint-Exupéry, il travaille
au Cap Juby, une base qui se résume à un vieux baraquement
cédé par les Espagnols, exposé aux attaques des dissidents
des tribus locales. D'ailleurs, plusieurs pilotes seront attaqués
et perdront la vie. Objectif atteint puisqu'il réussit un trajet
aller-retour Toulouse / Barcelone / Alicante / Malaga / Gibraltar / Larrache
/ Rabat.
La "Ligne" se développe d'année en année
: en 1925, Mermoz assure Barcelone / Malaga. En 1926, il fait la liaison
Casablanca / Dakar. Cette année-là, il fait un atterrissage
forcé en plein désert, avec pour tout ravitaillement un peu
d'eau et des sardines. Il est fait prisonnier par les Maures qui le relâchent
moyennant une rançon. En été de la même année,
Jean Mermoz est envoyé par Latécoère au Brésil
: c'est lui qui est chargé d'établir la "Ligne"
en Amérique du Sud. C'est le début de la grande aventure,
dont les journaux français se feront l'écho jour après
jour, publiant des cartes représentant la progression des opérations.
Il frôle la mort plusieurs fois dans la Cordillière des Andes
: aux commandes d'un avion qui plafonnait à 6200 m, un Potez 25,
il doit franchir le sommet de la muraille montagneuse, à 6300 m.
Il faut ruser et saisir le courant ascendant pour franchir les sommets.
Pendant plusieurs heures, Mermoz attend le bon moment. Enfin, il atteint
les 6400 mètres. Mais le courant retombe soudain et l'écrase
sur un plateau, train d'atterrissage cassé. Mermoz et son équipier
se retrouvent perdus, par 30°. Le plateau est une véritable
prison : cerné de ravins et de crevasses, il n'est pas question de
s'en échapper. Les tubulures de l'avion éclatent. Les deux
hommes parviennent à réparer, ils poussent l'avion à
la force des bras, et plongent dans la vallée. Las! Le moteur explose.
Mermoz parvient à poser son appareil sur le terrain d'atterrissage,
en planeur!
En mai 1930, il réalise son rêve, son obsession: 21 heures
de vol aux commandes d'un Latécoère 28, le "Comte
de la Vaulx"une véritable folie!
Mermoz décolle du Bourget. Seule difficulté rencontrée
Mermoz, si l'on en croit Didier Daurat, la traversée du "Pot
au Noir", une zone sans aucune visibilité, point de rencontre
d'alizés redouté de tous les pilotes. Il faut imaginer l'avion
volant à ras des flots, les vagues envahissant le cockpit, Mermoz
nu aux commandes se battant pour garder le contrôle. Au lever du jour,
le 16 janvier, les hommes aperçoivent le phare de Natal, et l'hydravion
amerrit en douceur sur le Rio Potangi, au Brésil. Le courrier avait
mis 2 jours pour atteindre le Brésil, 3 jours et demi pour arriver
en Argentine et 4 heures de plus pour parvenir au Chili. Du même coup,
Mermoz battait le record du monde de distance en hydravion et devenait le
premier pilote de ligne.
1933 : Latécoère est en pleine déconfiture. Mermoz
est révolté par l'injustice qui conduit à la fermeture
de cette exceptionnelle compagnie. En effet, il semble bien que les gouvernements
français, américain et allemands se soient secrètement
mis d'accord pour éliminer une compagnie gênante: l'Amérique
du Sud était "chasse gardée" des Américains
et des Allemands. Air France est créée cette année-là,
et c'est pour cette compagnie que Mermoz deviendra inspecteur général
de ligne.
Le 7 décembre 1936, il prend les commandes de l'hydravion "La
Croix du Sud". Mission : acheminer le courrier entre la France
et l'Amérique du sud, en passant par le Sénégal. A
10h40, la base reçoit un dernier message : "Nous coupons le
moteur arrière droit." Puis, plus rien. Jamais on retrouvera
le moindre vestige de la Croix du Sud, abîmé dans l'Atlantique,
au large des côtes africaines. Bien des années plus tard, recherches
et simulations permettront d'avancer une hypothèse sur les circonstances
de ce tragique accident. Il semblerait en effet que les moteurs qui équipaient
les hydravions tombaient en panne facilement, si l'on en croit le témoignage
d'un mécanicien qui avait travaillé avec Mermoz. Ce dernier,
pressé, et victime d'une panne de moteur une heure après le
décollage, aurait demandé à ce qu'on accélère
les réparations, qui, du coup, auraient été mal faites.
La "Croix du Sud" était pourtant un quadrimoteur (Latécoère
300). Un moteur en panne, on aurait pu penser que les trois autres pouvaient
prendre le relais. Hélas, ce ne fut pas le cas. On pense maintenant
que l'hélice est venue fracasser l'avion, qui se serait brisé
d'un seul coup. Mermoz entre dans la légende. Lors de ses obsèques
nationales, deux flottilles (l'Armée de l'Air et Air France) sillonnent
le ciel. Toutes tendances politiques confondues, les hommes politiques lui
rendent hommage, malgré ses engagements auprès des Croix de
feu et du PSF. Paul Vaillant-Couturier, après sa mort, écrira
: "Mermoz, ce Français profondément français (...)
avec lequel je partageais le mépris des galons, des titres vains
et des salons snobs... S'il avait vécu, il aurait probablement suivi
un autre chemin politique".
Antoine de Saint-Exupéry, écrivain-aviateur ou aviateur-écrivain ? Le 31 juillet 1944, quelque part en Méditerranée probablement, Antoine de Saint-Exupéry disparaît en mission. On n'a jamais retrouvé son appareil. Dans quelle mission s'était-il lancé? Là encore, mystère. A l'époque, Saint-Exupéry souffrait de vertiges, séquelles probables des multiples accidents qu'il avait subis (Le Bourget en 1923, Fréjus en 1933, la Lybie en 1935, Guatemala City en 1938). Comme le raconte son chef d'escadrille de l'époque, les autorités lui avaient laissé entendre qu'il allait être interdit de vol. Saint-Exupéry lui confia ses manuscrits en lui laissant des consignes. Le 24 juillet, l'interdiction fut confirmée. Mais le 30, son chef d'escadrille fut obligé de partir pour remplacer un pilote défaillant. Le 31 juillet au matin, à son retour, Saint-Exupéry n'était pas là. Il ne s'était pas couché... Le lendemain, la presse est laconique. Son ami le poète Léon-Paul Fargue évoque son cher Tonio, "ce beau diable à l'oeil rond et qui voyait loin". Jusqu'en janvier 1945, certains auront d'ailleurs du mal à croire à sa mort . Dans "Paris Mondial", Thierry Monnier exprime l'espoir qu'un jour puisse réapparaître cet homme d'exception qui s'est évanoui "dans la solitude céleste"... Une disparition romantique pour un homme d'exception...
Antoine de Saint-Exupéry naît en 1900 près de Lyon. Orphelin de son père, il passe son enfance dans l'Ain, chez sa tante, à Saint-Maurice de Rémens, tout près de l'aérodrome d'Ambérieu. L'aviation le fascine dès son plus jeune âge. Tout enfant, il invente une bicyclette volante et raconte à ses compagnons de jeux d'innombrables histoires qui, toutes, se terminent ainsi : "Et Antoine de Saint-Exupéry s'éleva dans les airs et il fut acclamé par la foule." Sa soeur évoque son souvenir, sa vitalité prodigieuse, son imagination débordante. Il inventait des machines, des moteurs, fouillait les greniers à la recherche de possibles trésors. Un seul désir l'habite: faire son baptême de l'air. Ce que sa mère lui refuse, bien sûr. Qu'à cela ne tienne: il va voir un pilote, lui fait croire que sa mère est d'accord, et, à l'âge de 10 ans, vole pour la première fois. Sa famille s'installe au Mans ; il y fréquente le Collège de Sainte-Croix, puis on l'envoie poursuivre ses études en Suisse, à Fribourg. En 1917, il arrive à Paris et s'inscrit au lycée Bossuet . C'est là qu'Antoine de Saint-Exupéry prépare Navale, mais il échoue à l'oral. Il entreprend alors des études d'architecte. Puis il fait son service militaire dans l'armée de l'air : Strasbourg, Rabat, Le Bourget, puis retour à Paris à la fin de son service. C'est en 1926 qu'il est embauché par Latécoère (l'Aéropostale). D'abord basé à Toulouse, il part en 1927 pour Cap Juby, escale importante de la ligne Casablanca-Dakar, où il est chef de l'Aéroplace. Joseph Kessel, un de ses proches amis, évoquera avec émotion le personnage de Saint-Ex tel qu'il était considéré à cette époque : un rêveur, un poète, qui passait sa journée en gandoura, même pour ses missions de reconnaissance. Il s'envolait, atterrissait en plein désert et restait là, perché sur un aérolithe, à rêver et à fumer la pipe. Un original en quelque sorte. C'est à Cap Juby qu'il écrit Courrier Sud, qui paraîtra en 1928. En 1929, Saint-Exupéry devient directeur à l'Aeroposta Argentina. Il épouse la Comtesse Consuelo, qui se souvient de lui avec nostalgie. "Comme époux, c'était un ange !", s'écrie-t-elle volontiers. En 1931 paraît Vol de nuit, qui obtient le Prix Fémina. Cet ouvrage remportera un succès phénoménal: Gallimard en vendra un million d'exemplaires la première année. Hollywood en tirera un film avec Clark Gable en vedette. Indirectement, Saint-Exupéry participe à la reconnaissance de l'Aéropostale.
En 1935, Antoine de Saint-Exupéry est un des as de l'aviation française. Il tente de rallier de Saïgon, mais s'abîme dans le désert de Lybie. Il racontera: "A ma grande surprise, le premier craquement, au lieu d'aboutir à l'écrasement définitif, se prolongea dans la cabine à la façon d'un tremblement de terre. Je subissais une secousse ininterrompue, d'une extrême violence et qui se prolongea pendant 6 secondes environ. Je ne savais comment interpréter ce phénomène quand je subis la secousse d'arrêt, qui fut plus forte que les autres, et pulvérisa l'aile droite. L'avion (...) s'était bloqué. Prevot (son mécanicien), puis moi, sautâmes hors de l'avion par peur du feu. Armé d'une lampe électrique, j'inspectai aussitôt le sol. Il était composé de sable recouvert de pierres noires et rondes, aucun brin d'herbe, aucune trace de végétation. Je parcourus un long circuit, Prévot et sa lampe formant repère, et reconnus finalement que j'avais tamponné le désert." Pendant trois jours entiers, Saint-Exupéry et Prévot erreront dans le désert de Lybie. Le troisième jour, ils rencontrèrent une caravane de bédouins providentielle qui les amena jusqu'à l'oasis la plus proche.
Entre 1935 et 1938, Saint-Exupéry sera grand reporter pour "Paris Soir" et "L'Intransigeant". Pilote réserviste en 1939, il est affecté à une escadre de reconnaissance près de Saint-Dizier. Après la défaite, il s'exile aux Etats-Unis où il publie trois livres simultanément en anglais et en français : Terre des hommes, Pilote de guerre et Le Petit prince. Il devient un des écrivains les plus populaires aux Etats-Unis, et l'est resté si l'on en croit le nombre de sites internet américains consacrés à l'auteur, et surtout au Petit Prince. Il obtient d'ailleurs le National Book Award pour les deux premiers titres.
En 1943, il rejoint l'armée française, commandé
par le Général Giraud. Le 8 juin 1943, il prononcera
une phrase qui ne sera pas toujours bien interprétée: "Je
n'aime pas plus aujourd'hui le Général de Gaulle: c'est ça
la menace de la dictature." En effet, pour lui, il ne pouvait pas y
avoir une France de l'intérieur et une France de l'extérieur.
Il considérait qu'on ne pouvait pas se permettre de parler au nom
de la France. Bientôt, il est jugé trop vieux. En plus, il
est handicapé par une blessure due à un petit morceau de cockpit
qui lui est rentré dans le corps et qui a déclenché
une série de fièvres, provoquant plusieurs opérations
successives aux Etats-Unis. Saint-Ex était très grand et avait
le dos très fragile. Mais il voulait absolument participer aux combats,
quel que soit le prix à payer... Saint-Exupéry laissa 925
feuillets de poèmes en prose reproduisant ses impressions du temps
de son séjour dans le Sahara espagnol pour l'Aéropostale.
Ils seront publiés en 1948 sous le titre Citadelle. Dans la mort
comme dans la vie, Saint-Exupéry aura su rester en conformité
avec son écriture et son idéal.
Tous les ouvrages sont disponibles aux éditions Gallimard. Les oeuvres
complètes existent dans la collection de la Pléiade (Gallimard)
et aux Editions de l'Honnête homme.
L'aviateur
Courrier Sud
Vol de nuit
Terre des Hommes
Pilote de guerre
Le petit prince
Carnets
Lettre à un otage
Citadelle
Lettres à sa mère